Brûlante randonnée

Publié le 23 Novembre 2011

Je ne sais expliquer comment dès l’instant où j’ai jailli de l’extrémité d’un bâtonnet, j’ai compris l’environnement dans lequel j’allais vivre. La journée était belle, ensoleillée, l’air très sec, l’atmosphère chaude. Un enfant s’extasia à ma vue. D’un air buté et malin, il lâcha l’allumette. Je faillis être emporté par le souffle d’air provoqué par la chute. Je me cramponnai, redevins étincelle, alors que je me croyais déjà flammèche. J’atterris sur un lit d’herbes sèches, mesurant instantanément la chance qui était la mienne. J’aurais tout aussi bien pu me retrouver sur un chemin de pierres.
Pourtant je me sentais encore vulnérable. Je m’étais enfoncé très profondément dans les herbes qui m’étouffaient. Je me recroquevillai, cherchant en moi l’énergie vitale, refusant de céder au néant. Je voulais vivre, grandir, me déployer.
Le sort me fut à nouveau favorable. Une légère brise souleva les broussailles, me caressa doucement, longuement jusqu’à me redonner vie. Mon explosion de soulagement embrasa toutes les brindilles alentour. Je sentis pousser en moi des désirs de puissance et de grandeur. Je ne serai pas un de ces feux confinés entre quatre pierres. J’allais montrer au monde qui j’étais.
L’instinct me commanda de progresser lentement, de rester rampant. Je pressentais l’existence de forces adverses. Pour aller loin, il fallait que j’aille aussi longtemps que possible caché.
Mon bonheur était intense. Rien ne me résistait. Au moindre contact, feuilles, arbustes, fleurs se faisaient flammes et venaient m’emplir, me grossir. Des animaux s’enflammaient et détalaient en poussant des cris stridents. Je jubilais de les voir ainsi anticiper mon propre passage, semant à tout va de nouveaux foyers.
Mais, je trépignais d’impatience à l’idée de m’attaquer aux grands arbres. Bientôt faisant fi de toute prudence, je léchai le tronc d’un somptueux pin maritime, qui frémit sous cette brûlante caresse. Je l’enveloppai avec gourmandise. Il gémit. J’atteins sa ramure et me glissai voluptueusement sur ses branches. Je jouis du craquement plaintif des feuilles qui s’envolaient carbonisées, me dispersant au loin en mille étincelles. Je taquinai timidement la branche de l’arbre voisin qui m’accueillit sans cérémonie et m’ouvrit le champ vers d’autres de ses congénères. Je progressai de branche en branche dans le fait des arbres ployant sous ma charge.
J’étais né depuis une heure environ quand j’entendis vrombir au-dessus de moi les premiers moteurs. Le danger se rapprochait. Je ne ressentais aucune peur, mais une rage sourde. Très bien, jusque-là je n’avais fait que grignoter, m’ouvrir l’appétit. Je me jetai sans plus de retenue sur le festin qui m’était offert, avalant sans plus goûter la végétation sur mon passage.
J’exultais. Je lançais mes bras de feu dans une danse échevelée, mon panache de fumée touchait le ciel. Je rugissais de plaisir.
L’ennemi commença à décocher ses attaques pitoyables, m’inondant ici et là de liquide mortel, ouvrant en moi quelques plaies fumantes, très vite refermées. Rien ne pourrait m’arrêter.
J’arrivai bientôt tout contre une route qu’il me fallait franchir pour poursuivre mon dessein. J’hésitai quelques instants me rassemblant pour mieux sauter l’obstacle. La chance me sourit une nouvelle fois. Une voiture qui cherchait sûrement à m’échapper passa. Elle fut comme un rocher au milieu du gué sur lequel je vins rebondir.  Des hommes en jaillirent, juste avant qu’elle n’explose. Taquin, je chatouillai ces êtres hurlants, puis les avalai négligemment.
J’avais passé la route.

Rédigé par Nadine Guézennec

Publié dans #texte libre

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