HHhH de Laurent Binet

Publié le 13 Juin 2012

La Seconde Guerre mondiale, le nazisme, la Shoah, j'ai lu tant de livres sur ces sujets que j'hésite à en ouvrir un nouveau qui risque, je le crains à chaque fois, de me raconter une histoire que je connais trop.

Je sais que c’est une erreur. La question n’est pas le thème, mais la manière dont il va être traité. Tant de poèmes, de chansons, de romans sur l’amour, pas un n’est semblable à l’autre, et certains savent toujours me surprendre.

Alors, va pour HHhH !

Il y avait dans la démarche de Laurent Binet quelque chose qui pouvait tout de même m’interpeller : la question de la nature du récit. L’auteur veut éviter la fiction interprétative des romans historiques classiques. Il veut écrire et ne dire que les faits de l’Histoire, se soustraire à l’exercice d’imagination… mais que cela reste un roman.

Il use de ce qui m’apparaît un peu comme une mode, le principe de l’écrivain acteur de son récit, l’écrivain décrit écrivant, l’écrivain expliquant, justifiant ses choix au fil du récit.

J’ai lu récemment « Les enfants d’Alexandrie » de Françoise Chandernagor dont je ne ferai pas de fiche, car chez elle, j’ai détesté cette posture : « là je pourrais dire ceci ou cela ou raconter ceci ou cela, mais je fais faire autrement par respect de l’histoire et patati et patata… » et donc détesté son livre.

Laurent Binet lui a réussi son coup, même si par moment j’ai trouvé que cela frisait la coquetterie.

Il est parfaitement crédible dans le rôle du jeune écrivain possédé par son histoire, dans celui de l’historien scrupuleux, dans celui du commentateur des événements et, évidemment dans celui du romancier talentueux. Il malmène sans vergogne les « vilains » nazis, tire des portraits sans complaisance des alliés concernés. Il prend position, une position sans surprise, mais pleine d’un humour sarcastique qui achève de nous convaincre de le suivre.

Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que, quoi qu’il dise — et c’est ce qui m’a un peu agacée — il relate certaines scènes avec un tel brio que les mots, à son corps défendant ou pas, finissent par habiter les héros de cette histoire vraie au point d’en faire des « personnages » de roman : Laurent Binet parvient à nous faire vivre ces instants tragiques en nous faisant partager les émotions (supposées) de leurs acteurs. Surtout vers la fin du livre : la scène de l’attentat, la scène dans la crypte. 

On peut discuter aussi sa manière d’interpeller d’autres auteurs de romans ou de films qui ont raconté la même histoire ou d’autres faits de l’Histoire avec beaucoup de lyrisme comme Alan Burgess. L’intérêt pour moi qui « écris », c’est la comparaison, la question du choix. Nonobstant, le procédé m’a un peu gênée.

Ce qu’il ne fait pas avec « Les Bienveillantes » de Jonathan Littel, livre sur lequel je ne ferai pas non plus de fiche parce que je ne l’ai pas fini. J’ai calé sur l’horreur, l’implacable addition des horreurs. Littel et Binet relatent tous les deux cet effroyable massacre en Ukraine. Je me demande si ce n’est pas à ce chapitre que j’ai décidé de ne pas aller plus loin avec Littel. Et j’ai apprécié chez Laurent Binet la très efficace sobriété avec laquelle il raconte les mêmes faits.

Je recommande donc HHhH.

Rédigé par Nadine Guézennec

Publié dans #Fiche de lecture

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